New museum : l ‘intranquille

 

21 Avril 2019

Le New museum de New York a l’âge du Centre Pompidou de Paris. Il est même né trente jours avant ce dernier.
Lorsque Marcia Tucker, conservatrice au Whitney Museum of American Art ( de 1967 à 1976) fonde officiellement le New museum le 1er janvier 1977, cette ouverture consacre le premier musée dédié à l’art contemporain établi à New York depuis la seconde guerre mondiale. De son poste privilégié au Whitney Marcia Tucker était arrivée à la conclusion que les œuvres de jeunes artistes trouvaient difficilement leur place dans les espaces d’expositions habituels. Positionné entre musée traditionnel et espace alternatif, le New museum ambitionnait d’engager un dialogue entre les artistes et «Un centre d’exposition, d’information et de documentation pour l’art contemporain réalisé dans un délai d’environ dix ans. » L’ objectif d’offrir un lieu aux artistes vivants n’ayant pas encore eu d’expositions personnelles majeures s’inscrivait dans ce projet novateur.
Lors de ma première visite au New museum il y a presque dix ans, l’architecture décalée du bâtiment signalait dès l’abord son positionnement singulier : celui d’un lieu différent des institutions implantées avec l’assurance tranquille de représenter les valeurs acquises de l’art du temps. Cette intranquillité de l’architecture du New museum, cette instabilité potentielle du bâtiment annonçaient la couleur de sa programmation.
Dix ans plus tard, cette visite semble confirmer la ligne directrice du musée. La découverte ici de Nari Ward conforte cette impression. Car l’exposition d’un artiste en équilibre instable entre plusieurs pays, plusieurs cultures s’inscrit dans cette ligne directrice du lieu.

« Nari Ward : We the People »

« Nari Ward : We the People »

« Nari Ward : We the People » présente plus de trente sculptures, peintures, vidéos et installations à grande échelle jalonnant vingt cinq ans de carrière. Né en Jamaïque en 1963 et travaillant à New York, Nari Ward a introduit dans son travail l’utilisation d’ objets trouvés . Pour ses grandes installations sculpturales, Ward récupère les matériaux qu’il trouve dans son quartier, des débris aux objets plus « précieux » pour mettre en place ses propositions. Son travail se concentre sur des questions politiques et sociales : pauvreté, racisme , culture de la consommation : les objets qui nous entourent participent à la lecture symptomale de ces questions de société.
Depuis le début des années quatre vingt dix, Nari Ward produit ainsi des œuvres en accumulant des quantités stupéfiantes de matériaux humbles et en les réutilisant de manière toujours inattendue. Son approche artistique puise sa source dans les traditions folkloriques et les actes créatifs de recyclage de la Jamaïque ainsi que les textures matérielles de Harlem où il a vécu et travaillé pendant les vingt-cinq dernières années. Cette présentation souligne l’importance continue de New York, et de Harlem en particulier pour sa recherche artistique. Beaucoup de ses premières sculptures ont été créées avec des matériaux récupérés dans les bâtiments et les rues de Harlem. Ces articles ( Poussettes pour bébés, lances d’incendie, battes de baseball, plateaux de cuisson, bouteilles et paniers d’épicerie ) ont été choisis en raison de leur lien avec la vie et les histoires individuelles dans le quartier. L’exposition comprend plusieurs œuvres anciennes clés, telles que les environnements à grande échelle Amazing Grace et Hunger Cradle (tous deux de 1993), que Nari Ward a construit et exposé dans une caserne abandonnée.

« Amazing Grace » (1993) Nari Ward

Amazing Grace , l’une de ses œuvres les plus emblématiques, a été réalisée dans le cadre de sa résidence au Studio Museum de Harlem, en 1993, en réponse à la crise du sida et à l’épidémie de drogue du début des années 90. Pour cette installation Ward a rassemblé plus de trois cents soixante cinq poussettes abandonnées, couramment utilisées par les sans-abri de Harlem pour transporter leurs effets personnels, qu’il a attachées avec des lances à incendie tordues dans cette caserne de pompiers abandonnée à Harlem. Un enregistrement audio du film « Amazing Grace » de Mahalia Jackson, chanteuse de gospel, fait écho à l’oeuvre.
La même année l’artiste présente sa première exposition individuelle institutionnelle au New museum, où il expose une grande sculpture Carpet Angel (1992).
Dans son travail plus récent, Nari Ward aborde directement des réalités politiques et sociales complexes qui ont une résonance à la fois au niveau local et national, reflétant les changements sociaux profonds intervenus dans Harlem et l’état de fracturation de la démocratie aux États-Unis.
A travers une oeuvre dérangeante, symptôme du déséquilibre culturel auquel l’artiste se trouve lui-même confronté, le New Museum participe à cette réflexion permanente d’un espace d’art « mal assis » qui occupe une place originale dans un Manhattan où les MOMA, Whitney museum et Guggenheim tiennent le haut du pavé.

Photos de l’auteur

« Nari Ward : We the People
1 mars – 24 mai 2019
New Musem
235 Bowery
New York

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